L’église Saint-Sauveur
Étude architecturale de l’ancienne église de Roquemartine
Le prieuré Sainte-Marie-de-Roquemartine, nom originel de l’église Saint-Sauveur, était situé au sommet d’un petit col qui sépare le château du reste du massif du Défens.
Il est peu mentionné, si ce n’est dans quelques confirmations papales au XIIº siècle et mentions dans le pouillé du diocèse d’Avignon aux XIVº et XVº siècles. Un seul acte est conservé dans le fond de Saint-Victor : il concerne la prise de possession du prieuré, en 1433, par Pierre de Naples.
L’édifice est une construction assez simple
La nef comprenait deux travées sans bas-côtés. La travée ouest ayant été détruite anciennement, un mur fut bâti pour fermer la seconde travée, réduisant l’édifice de moitié. Sur le côté sud sont venues se greffer deux petites chapelles de plan rectangulaire.
Au nord, des fouilles clandestines anciennes ont mis en évidence les restes d’un avant-corps dans lequel on peut identifier un porche abritant une entrée aujourd’hui murée. Cette porte est surmontée d’un arc en plein-cintre dont la clé, qui est un réemploi, est ornée de motifs géométriques gravés : au centre une rosace à six branches inscrite dans un hexagone est encadrée par des doubles cercles sur l’un desquels se superpose une croix. Une autre porte existe sur le côté sud, à l’ouest du contrefort central. Beaucoup plus petite que la précédente, elle est surmontée d’un arc en plein-cintre. Il ne semble pas y avoir eu d’ouverture à l’ouest, sauf dans le mur moderne qui sépare la nef en deux.
La robustesse de l’église devait être bien imparfaite puisqu’elle nécessita de nombreuses réfections et consolidations. Le mur sud (qui doit appartenir à une restauration) possède trois contreforts. Le mur nord pourtant bâti à même le roc a dû être épaulé par un contrefort d’angle et un grossier arc boutant. L’abside a dû être partiellement reconstruite et sa voûte refaite. La nef a été coupée en deux après l’effondrement de la partie ouest. Tous ces travaux n’ont pas empêché l’écroulement complet du reste de la nef dans les années 1950.
L’intérieur de l’église
La nef était ornée de grandes arcades aveugles dont l’arc légèrement brisé repose sur des piédroits soulignés par une imposte.
Une corniche de même profil marque la naissance de la voûte en berceau brisé qui couvrait la nef.
La toiture posée sur l’extrados de la voûte était faite de grandes dalles calcaire.
Le chœur pentagonal s’ouvre sur la nef par un arc triomphal. Il est couvert d’une voûte d’ogives à six quartiers rayonnants.
La retombée des arcs formerets, placée dans un angle de l’abside, repose sur un chapiteau mouluré et une colonne en calcaire blanc installée sur une haute base prismatique.
Ce système de couverture avec ses supports est postérieur à la construction de l’abside. Une petite fenêtre à arc en plein-cintre a été bouchée lors du voûtement, il fut alors nécessaire d’en ouvrir une autre, de forme rectangulaire, un peu plus haut placée.
De l’autel situé au centre du sanctuaire, il ne reste plus qu’un massif de maçonnerie de 1,75 m sur 0,75 m et des dalles de calcaire éparses.
L’histoire de l’église débute au XIIº siècle (Phase I)
La datation de l’église est rendue malaisée par le nombre des réfections et l’absence d’éléments stylistiques bien précis. Les textes sont très lacunaires sur la vie de l’église, exceptées quelques mentions depuis la fin du XIe siècle. Les seuls textes qui nous apportent des renseignements sont les visites pastorales des XVIIe et XVIIIe siècles. Toutefois il est possible de discerner quelques grandes phases.
La porte nord appartenant à la phase I semble pouvoir être datée de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle. C’est la forme des claveaux, ainsi que la technique de séparation des claveaux en deux par une rainure, qui permettent de formuler cette hypothèse.
La clé qui est un réemploi semble dater du XIIe siècle. Les marques de pics sur la douelle d’intrados confirment cette date. Ce type de marques décoratives est fréquent au XIIe siècle, en particulier à la chapelle Saint-Véran (Plan d’Orgon) où ces marques forment des spirales, des chevrons et même des feuilles de fougères. Si cette clé a été réutilisée, ce n’est pas pour sa forme (car elle est plus petite que les claveaux) mais pour son décor de rosace et de cercles que l’on doit également pouvoir dater du XIIe siècle.
Porche et choeur du XIIIº siècle (Phases II et III)
L’abside pentagonale et le porche devant l’entrée nord appartiennent aux phases II et III attribuables au XIIIº siècle.
Les absides pentagonales étaient fréquentes en Provence, comme à Saint-Julien de Boulbon, Saint-Jacques de Cavaillon, Saint-Restitut ou encore Saint-Paul-de-Mausole, tous des édifices du XIIe siècle (83). Selon Guy Barruol, « les chevets pentagonaux voûtés d’ogives sont en Provence caractéristiques de l’extrême fin du XIIe siècle et mieux des premières années du XIIIe siècle« .
La fenêtre en plein-cintre du second pan de l’abside est encore romane. Son orientation Sud est sans doute dûe à la recherche d’un meilleur éclairage dans une église qui ne possédait que très peu d’ouvertures, voire aucune à l’origine. Le dernier élément de datation est l’unique imposte de l’arcade aveugle du mur nord de la nef et peut-être les deux petites impostes de l’arc. Ces dernières ont un profil en doucine, courant au XIIe siècle. En revanche, l’imposte inférieure avec son profil en quart-de-rond est plus fréquente à la fin du XIIe siècle et dans la première moitié du XIIIe siècle. Ceci conduit à penser que la phase II doit être contemporaine de la première moitié du XIIIe siècle. L’église devait avoir alors atteint les dimensions que nous lui connaissons aujourd’hui.
Le porche a dû être élevé à la suite de l’achèvement de l’église donc, sans doute, dans la seconde moitié du XIIIe siècle ou au XIVe siècle.
Les murs sud et ouest de la nef (Phases IV et V)
Il est probable qu’un effondrement ait conduit à la reconstruction du mur sud de la nef. Cette fois les constructeurs ont pris des précautions en ajoutant de robustes contreforts.
La datation de la phase IV relative au mur sud de la nef peut s’interpréter de deux manières : ce mur étant accolé au mur du chœur, la rupture peut être considérée comme un arrêt dans les travaux avec une mauvaise reprise, ou comme une reconstruction complète du mur après son effondrement. Elle peut donc dater du XIIIº siècle comme les phases précédentes, voire du XIVº siècle s’il s’agit d’une reconstruction.
Les indices de datation sont assez minces : impostes chanfreinées, porte en plein cintre à chambranle aussi chanfreiné, arc brisé. Aucune certitude n’est possible, la durée d’utilisation de ce type de modénature ayant été très longue. La chronologie relative conduit à avancer une datation de la phase IV, entre la fin du XIIIe siècle et le XIVe siècle. La reconstruction au XVe siècle est peu probable si l’on émet l’hypothèse d’un effondrement de l’angle nord-ouest de l’église durant l’occupation de Roquemartine par les hommes de Raymond de Turenne. La réduction de l’église à une seule travée de la nef a dû être réalisée au début du XVe siècle. La forme de la fenêtre haute et de la nouvelle porte est compatible avec cette hypothèse.
La phase V concernant la peinture de faux appareil qui recouvre à la fois le mur ouest et le bouchage de la porte nord est datable du XVe siècle. Ce type de décor est courant à la fin du XIVe siècle et au XVe siècle.
Deux chapelles des XIV° et XV° siècle
La construction des chapelles latérales sud, de dimensions différentes, a dû relever d’un projet d’ensemble et être harmonisée avec le reste de la nef. Voûtées d’un berceau brisé, leur construction a entraîné la création de larges ouvertures dans le mur sud de la nef.
Les deux seuls indices de datation sont et la fenêtre de la première chapelle, la plus grande, près du choeur, qui possédait un autel dédié à Saint-Symphorien, et la peinture de la seconde, la plus petite des deux chapelles.
La fenêtre de la première chapelle est identique à une fenêtre de la chapelle haute de Saint-Nicolas sur le pont Saint-Bénézet, à Avignon. Cette chapelle haute, ajout sur la construction romane, aurait été construite en 1513. La fenêtre est donc de cette époque. Une telle forme de baie peut avoir eu une vie assez longue, la fenêtre étant utilisée depuis longtemps dans les édifices civils.
La seconde chappelle abritait un caveau sous son sol de dalles. Le caveau, pillé de nombreuses fois par des clandestins, a pu appartenir aux seigneurs du château. Un décor peint ornait cette chapelle : au-dessous d’une corniche ornée de motifs géométriques s’observe une tenture de couleur décorée d’écus. La voûte de couleur bleu foncé imite un ciel où scintillent des étoiles. Un panneau à scène figurée se superpose au ciel sur la partie est de la voûte.
Les caractères généraux de la peinture indiquent le milieu du XIVe siècle.
Une chapelle avec une peinture murale remarquable
Sur un fond blanc bordé de brun a été représentée une crucifixion. Le Christ en croix occupe le centre entouré à sa droite par la Vierge et à sa gauche par saint Jean. Près de Marie un petit personnage à tonsure semble drapé dans son vêtement. Au-dessus de la croix la lune et le soleil se font face à face.
Les crucifixions sont courantes autour des tombeaux et dans les caveaux au XIVe siècle. Le corps affaissé du Christ, les bras tendus le corps contourné, les jambes dirigées vers la gauche se rencontrent dans de nombreuses œuvres. Les astres représentés au-dessus de la croix sont, conformément aux schémas classiques, le soleil à gauche et la lune à droite, au moins depuis le XIIIe siècle. La position des personnages ne varie pas, la Vierge à gauche, saint Jean à droite.
Les couleurs sont aussi celles de la période gothique, en particulier les bleus intenses et les verts aux tons variés.
En revanche, deux détails vont à l’encontre d’une datation du XIVe siècle. L’abondance du sang qui s’écoule des plaies du Christ n’est pas habituelle au milieu du XIVe siècle, elle devient plus fréquente à la fin du XIVe siècle et surtout au XVe siècle. La présence d’un petit personnage à tonsure ne correspond pas non plus au XIVe siècle.
Un mystérieux donateur au pied de la croix
Sa taille nous indique qu’il n’est pas un personnage de la scène.
Habituellement ce type de personnage représente un individu contemporain de l’œuvre peinte : le défunt à qui elle est dédiée, le commanditaire ou un personnage important que le commanditaire désirait flatter.
Il s’agit ici d’un clerc qui n’est pas défini autrement que par sa tonsure. Son identification est à chercher dans l’identité du (ou des) occupant(s) du caveau.
La tradition locale veut que cette sépulture ait été celle des Albe, ce qui est possible : le personnage représenté serait un membre de la famille Albe.
Or le premier clerc connu est Antoine Albe qui fut prévôt de Saint-Trophime d’Arles en 1543 (103). Cette dernière date parait tardive et difficilement rapprochable de l’exécution de la peinture.
Il s’agit peut-être d’un inconnu ou d’un autre membre de la famille Albe dont nous les fonctions ne sont pas connues.
Aussi peut-on dater la peinture du XVe siècle.
Depuis le XVI° siècle (Phases VI et VII)
La destruction de la partie ouest de la nef n’est pas datable en soi, bien que le mur ouest comporte des éléments attribuables au XVº siècle. Il en est de même pour le contrefort posé sur l’angle nord-est.
Les chapelles sud (phase VI), datant du XVº siècle de par leur décor et la peinture de la chapelle funéraire, ont dû faire partie d’un programme de réorganisation de l’église.
La réfection du chœur (phase VII) et la reconstruction de sa voûte sont certainement postérieures. Le style gothique utilisé pour les ogives et les supports semblent tardifs. Si l’on rapproche la fenêtre haute du chœur et celle de la chapelle sud-est, on peut proposer comme datation la seconde moitié du XVº siècle ou le début du XVIº siècle, malgré le manque de décor renaissance, explicable par le retard fréquent des artistes locaux dans l’évolution des styles.
Par la suite, des travaux divers furent effectués ainsi que de menus aménagements comme le laissent entendre les visites pastorales du XVIIº et XVIIIº siècles. L’église est en ruine en 1628, alors qu’en 1650 elle ne l’est plus : des réparations ont été effectuées.
Lors de la seconde visite de Monseigneur Gonteri, le 3 juin 1713, l’ensemble de l’église est dit en assez bon état. Mais le cimetière est toujours sans porte. Les réparations grossières à la voûte du chœur peuvent peut-être correspondre à cette période. D’autres travaux de restauration durent être entrepris au cours des XVIIIe et XIXe siècles.
Enseignements de visites pastorales aux XVII° et XVIII° siècles
Visites pastorales du 30 septembre 1671 et 18 mai 1708
Le 30 septembre 1671, lors de sa visite, Monseigneur Marini abandonne le « de fructus » pour l’attribuer à la réparation de l’église : « l’église n’est pas pavée et les vitres sont rompues« .
Deux visites pastorales sont dues à Monseigneur Gonteri au XVIIIe siècle. Le procès-verbal de la première visite, effectuée le 18 mai 1708, évoque le grand autel, celui du chœur dont « la voûte a besoin d’être réparée et aussi le restant de la voûte de l’église ».
Son ordonnance précise : « Au presbytère, Monseigneur a ordonné que le dit sieur Prieur fera réparer la voûte du presbytère y pleuvant partout, et le restant de la dite église étant en même état, a ordonné que la dite voûte sera réparée depuis le presbytère jusqu’au-dessus de la porte au dépens de la communauté du dit Roquemartine. »
Source : extraits de l’étude historique et architecturale approfondie réalisée par Monsieur Jean-Paul NIBODEAU et publiée dans le fascicule 169 de la PROVENCE HISTORIQUE en 1992. Auparavant un article avait été publié par Monsieur Henri-Paul EYDOUX dans la revue Monuments méconnus en 1979.