Le pigeonnier du Castellas de Roquemartine
Patricia Deronzier, Secrétaire générale de l’association « Les Chemins du Patrimoine » nous partage sa passion pour les pigeonniers. Elle nous avait fait découvrir le pigeonnier du Castellas de Roquemartine le 17 septembre dernier et vous présente dans cet article l’histoire de la domestication des pigeons, le prestige attaché aux pigeonniers, symbole nobiliaire réservé aux seigneurs du Moyen-Âge ainsi que quelques pigeonniers remarquables de Provence.
La domestication du pigeon
La domestication du pigeon est très ancienne, on suppose qu’elle va de pair avec la sédentarisation des peuples nomades, au début de l’agriculture. La plus ancienne représentation d’un pigeon remonte à 4 500 ans avant J.C, en Mésopotamie. Les reliefs assyriens montrent souvent des reproductions de cet oiseau.
Les premiers pigeonniers ont été identifiés en Orient, sous la forme de tour qu’on leur donne encore aujourd’hui. Les Grecs et les Égyptiens élevaient des pigeons. En Égypte, le pigeonnier de Qotur, composé d’une trentaine de dômes en pisé, est très impressionnant.
Les romains possédaient de grands pigeonniers appelés colombarium dotés de niches aménagées dans les murs. C’est par analogie que l’on appelle du même nom les édifices mortuaires où l’on place des urnes funéraires.
Les représentations des habitats que l’homme a imaginés pour le pigeon sont nombreuses sur le pourtour méditerranéen. Le cheval et le pigeon sont les seuls animaux domestiques pour lesquels l’homme a érigé des édifices qui sont bien souvent de véritables chefs d’œuvre.
En France, l’élevage du pigeon se développe au Moyen-âge en tant que culture vivrière et sa viande vient compléter une nourriture composée essentiellement de céréales. En 1261, la Maison du Roi de France consommait 400 pigeons par jour et celle de la Reine presque autant.
Le pigeon était élevé non seulement pour sa viande et mais aussi pour sa fiente, également appelée colombine ou guano, qui produisait un riche engrais.
Un symbole de prestige réservé aux seigneurs du Moyen-Âge
Pigeonnier et colombier sont des synonymes. Antérieurement au XIXe siècle, l’habitation des pigeons était appelée « colombier », de l’ancien nom « coulon » qui signifie pigeon. Le parler moderne a préféré le terme pigeonnier, laissant celui de colombier au langage poétique.
Avant la révolution, l’élevage du pigeon était réservé à la noblesse et aux abbayes. C’est Charlemagne qui fit de l’élevage du pigeon un privilège nobiliaire. Posséder un colombier à pied, c’est-à-dire dont toute la hauteur est garnie de boulins, est alors un privilège qui n’est permis qu’aux seigneurs qui ont haute justice. Les autres seigneurs ne peuvent jouir du même droit qu’à condition de posséder en plus du fief et de la censive, 100 arpents de terre labourable autour du pigeonnier. (Le cens est la redevance annuelle, foncière et perpétuelle, qui est due par celui qui possède la propriété utile d’un fonds, appelé censive, à celui qui en possède la propriété éminente, appelée seigneurie. Payant le cens, le censitaire est en général roturier, mais il peut aussi être noble ou ecclésiastique. ) Le pigeonnier est alors un symbole de prestige et un signe extérieur de richesse. Les usages ont ensuite beaucoup varié selon les époques et les régions.
En France du Sud (Provence, région toulousaine ou bordelaise), le droit d’avoir des pigeons est accordé à tous ceux qui ont assez de terre autour du pigeonnier pour faire picorer ces oiseaux voraces, la réglementation en limitant la capacité (poux). Le droit de colombier n’a pas toujours été respecté dans les faits (acquisitions fréquentes par prescription quadragénaire sur les éléments de fiefs divisés, érections par autorisation royale).
L’on trouve au XVIe siècle une multiplication des pigeonniers notamment dans les zones rurales. Leur édification est souvent liée à des zones de culture des céréales.
La question des colombiers est une de celles qui préoccupent le plus les cahiers de doléances rurales en 1789. Dans la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée nationale proclame l’abolition, sans indemnité, de tous les droits dits de « féodalité dominante » dont celui de colombier. Le texte ne préconise pas la destruction des colombiers, ni la disparition pure et simple du droit. Il le démocratise, chacun pouvant désormais avoir jouissance d’un colombier s’il le désire. Les pigeonniers se multiplient dans certaines régions. Toutefois, l’abolition du privilège du droit de colombier entraîna une désaffection pour les grands colombiers, les pigeons devant être enfermés à certaines époques jusqu’à huit mois de l’année et du fait de l’obligation de les nourrir à l’intérieur du colombier.
À la fin du XVIIe siècle, on dénombrait en France 42 000 pigeonniers ou colombiers.
Les différents types de pigeonniers
Les colombiers peuvent être de formes et de dimensions variées :
- Tour ronde
- Tour carrée
- Forme octogonale
- Sur pilotis dans le Sud-Ouest
- Isolé, attenant aux bâtiments : simple pigeonnier de galetas,
- Toiture à une, deux, ou quatre pentes, ou conique
Hors pigeonniers seigneuriaux à pied, qui possèdent des boulins du sol au toit, il existe dans les zones rurales françaises des pigeonniers à étage, le rez-de-chaussée hébergeant un âne et le premier étage servant de réserve à grains. La partie haute étant réservée aux pigeons. Le nombre de boulins y est inférieur à celui des pigeonniers à pied.
Le pigeonnier du Castellas de Roquemartine
C’est typiquement un pigeonnier à pied : les boulins sont construits du sol au plafond sans étage intermédiaire. Il s’agit donc bien d’un pigeonnier seigneurial. Le seigneur de l’époque était-il haut-justicier ? Sa porte, en arc de plein cintre permet une datation du XIIIe siècle environ. Il fait partie des très anciens pigeonniers français, comme celui des Baux de Provence.
Le Pigeonnier du Castellas de Roquemartine ne possède plus de toiture ni de charpente. Il est difficile en l’état actuel de savoir comment elles étaient. Les murets pare-vents apparents à l’Est font penser à une toiture à une seule pente. Il devait exister une grille d’envol pour permettre aux pigeons de sortir du pigeonnier. Les murs sont construits en pierres dans un appareillage apparemment régulier, avec de belles pierres d’angle. On peut distinguer un enduit sur une certaine partie de l’édifice.
Il ne subsiste pas de bande anti-vermine, ni en pierre, ni en carreaux vernissés. Elle existait certainement, ayant un double but : empêcher les prédateurs (fouines et rats) d’entrer jusqu’aux nids en stoppant leur ascension et rejeter les eaux de pluies en les faisant retomber loin du mur.
Il subsiste un clou ou crochet en fer sur une façade, qui pourrait être le dernier représentant du système d’accrochage de céramique. Ceci n ‘est qu’une supposition compte-tenu de l’ancienneté de l’édifice, que l’on ne peut comparer avec d’autres pigeonniers plus tardifs.
Conclusion
Parmi les plus beaux pigeonniers de Provence, on peut citer notamment le pigeonnier rupestre des Baux, celui du prieuré d’Ardenne à St Michel l’Observatoire, du prieuré de St Pierre à la Bastide des Jourdans et le pigeonnier de Brue Auriac dans le Var.
Les pigeonniers de nos campagnes françaises, laissés souvent à l’abandon, disparaissent rapidement.
N’ayant plus à remplir de rôle agronomique (viande fraiche, fumier) ni de rôle social signalant le rang de leur propriétaire, ils conservent un rôle artistique et patrimonial.
Leur architecture très variée montre combien leurs constructeurs ont réussi à allier beauté et utilité. Ils tiennent une place modeste mais certaine dans la construction rurale de nos provinces.